Journal Intime #3: L’évolution de ma santé mentale & mon expérience avec le milieu psychologique

Silhouette d'une femme assise à la fenêtre lisant un livre

Née de parents divorcés, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été entourée par des institutions psychologiques. Enfant, je suis diagnostiquée « précoce » et le suivi prend d’autant plus d’importance. Bien qu’ayant bénéficié de services psychologiques en raison de ce statut et du contexte qui l’accompagne, la nécessité d’établir un suivi ne s’est pas manifestée dans ma famille. Ainsi, j’évolue et me développe sans institutions ou entités pour avoir un regard sur ma santé mentale.

Plus jeune, je fais l’objet de harcèlement, de racket et de violences lubriques qui ont valu à ma santé mentale de se dégrader davantage sans pour autant émettre un certain changement dans son encadrement ni communiquer un appel à l’aide qui pourrait soulager de tels fardeaux. L’amnésie traumatique fait ses ravages, la honte ronge, le temps s’installe et la crainte de se confier s’intensifie.

En outre, comme je l’explique dans mon article sur la santé mentale dans la communauté noire, quand je cherchais du réconfort ou de la représentation dans mon cercle familial, je peinais à satisfaire mon besoin qui lui-même était pointé du doigt comme un « caprice« . Mon entourage percevait ces dispositifs comme chronophages et dispendieux. Je ne pouvais me résoudre à blâmer un manque d’effort pour me comprendre ou une fermeture d’esprit trop assumée car j’excusais ces reproches comme des éloignements culturels et une éducation trop different(e)s. Bien que je soit consciente aujourd’hui que mes émotions soient valides, on a longtemps pointé du doigt mes états mentaux comme des « caprices » réduisant mes troubles et mes maux à coups de déni:

  • « La dépression c’est un truc de blancs. »
  • « Il n’y a pas de raison d’être triste dans la vie, il y a pire que toi. » 
  • « Les psy c’est pour les bourges ou les fous. »
  • « Etre psy, ce n’est pas un vrai métier, docteur c’est bien, les psy, c’est pour les blancs. […] Alors oui tu peux faire les études qui te plaisent mais pas en psychologie. Il n’y a pas de débouchés, ce n’est pas fait pour toi.« 

Alors oui, il y a pire que moi mais la gratitude ne minimisait pas pour autant ma douleur. J’avais, en tant qu’enfant d’immigrée née et élevée en Occident, des privilèges auxquels d’autres enfants de mon âge n’auraient pas pu avoir accès dans mon pays d’origine (en raison du développement du pays ou de la capacité à prendre en charge et en considération les revendications des générations qui se développent).

Au lycée, on me convoque au moins une fois par semaine pour débattre et justifier de mon comportement, le comportement d’une élève qui s’efface, le comportement d’une enfant muette, le comportement d’un être qui s’éteint et qui tait son potentiel qui ne se révèle que dans ses écrits/rendus, le comportement d’une personne paraissant absente même lorsqu’elle est là, le comportement de quelqu’un qui se censure et se limite… On me diagnostique très vite un complexe d’infériorité qui m’amène peu à peu à développer des TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) comme je le mentionne dans l’article éponyme: Les TCA: troubles du comportement alimentaire. On me diagnostique alors plus tard un état de dépression sévère que je ne comble ni par une quelconque médicamentation ni par un quelconque suivi psychologique.

Adolescente, je consulte même une orthophoniste dans le but de corriger quelques bégaiements que l’on m’identifie pour qu’en somme, elle ne me reconnaisse aucun trouble orthophonique ou dys- mais bien une importante anxiété sociale qui me vaut des tremblements et des bégaiements qui bousculent mes interactions sociales. Celle-ci me redirige alors vers des psychologues que je mettrai longtemps à consulter par crainte de rendre d’autant plus réels et tangibles par des mots, des troubles sur lesquels je n’osais, jusque-là, pas poser de label.

Etudiante, je cultivais alors ma santé mentale avec pudeur, une pudeur malsaine menant à une accumulation qui tirait vers la honte car la santé mentale et les troubles qui l’accompagnent n’avaient jamais été banalisés dans mon entourage et mon éducation. Longtemps, je me suis privé de soins psychologiques. Longtemps, on niait donc mes états mentaux et je me perdais sans référents dans un cercle où on m’imposait de me tasser, de m’oublier et donc de ne pas guérir. J’observais des membres de ma famille rire de ceux qui avaient le « courage » de se soigner en diminuant leur condition par du sarcasme.

En grandissant, j’étais confrontée à cette responsabilité de me prendre moi-même en charge, de confronter mes peines et mes maux en portant le poids de la décision qui accompagnait leur prise en charge. En grandissant, je faisais face à la confrontation qu’imposait une quelconque consultation. Faire face à ces sentiments que je refoulais par honte, par haine et par dépit. Je consultais sans prévenir en silence. Je devais arrêter d’attendre qu’une main se tende et demander l’aide que je pensais nécessiter, moi-même. Et chaotiques ont été ces expériences psychologiques. Entre ces psychologues qui niaient l’existence d’un racisme ambiant en France (ou du moins dans les expériences que j’ai pu subir) et ceux qui me blâmaient de guérir par période avant de rechuter, comme si une fois touché par la dépression, on ne pouvait plus avoir droit de s’épanouir et de venir se confier… mes séances n’ont pas été très fructueuses.

  • « Sors de mon bureau, je veux rentrer chez moi plus tôt aujourd’hui, tu es ma dernière patiente. Si tu n’es pas triste pour le moment, ça ne sert à rien qu’on parle même si tu estimes pouvoir rechuter avec tes partiels qui arrivent et les autres événements de ta vie qui les accompagnent. Attends d’être triste pour revenir. » – Psychologue Universitaire (suite à cela, elle m’a donné un rendez-vous pour 2 mois plus tard et a égaré mon dossier.)
  • « Alors c’est pas si grave de se faire appeler « sale noire », tu devrais peut-être faire un effort pour t’intégrer. » – Psychologue Clinicienne

Et en effet, comme je le souligne dans l’article « Les Bons Mots« , les bons mots ne sont parfois pas ceux que l’on veut entendre. Pour autant, je n’avais pas l’impression d’être entendue en retour non plus. Je me suis donc moi-même privée de soins psychologiques par fatalisme des expériences passées. Quand je m’y adonnais de nouveau, je n’osais plus donner de seconde chance par le biais d’un deuxième rendez-vous par crainte d’être déçue, d’être jugée ou encore de me montrer trop vulnérable,… Alors qu’en contant mon récit on me demandait si j’éprouvais une certaine colère, je n’en ressentais point. J’éprouvais surtout une certaine déception, un certain déboire en constatant qu’après tant d’efforts pour avoir surmonté ma crainte de confronter mes maux, je me retrouvais à les voir être niés ou amenuisés.

Je dissimulais parfois, par peur du jugement, mes ordonnances, mes reçus, mes cartes de visites et autres documents qui auraient pu trahir la face de moi que j’offrais au monde.

Mais qu’en est-il de mon entourage? Par adultisme ou aveuglement lié à la culture, ma famille a toujours minimisé mes troubles mentaux. Il m’est alors arrivé de me diriger vers mon cercle amical qui portait une attention plus attardé à ces états qui se manifestaient par de nombreuses sautes d’humeurs ou des périodes de silences et de renfermement. Je ne pourrai jamais assez exprimer la gratitude que j’éprouve envers leurs oreilles attentives et leur soutien émotionnel. La reconnaissance que j’éprouve pour le temps qu’ils ont pu accorder à mes râles n’égale en rien tous les remerciements que je pourrais leur exprimer. Néanmoins, j’en voyais parfois certains s’étonner quand la joie refaisait surface dans ma vie. J’en discernais certains être ahuris de constater qu’après avoir confié mes peines & mes maux, j’avais l’audace de rire de nouveau, comme si je devais m’enfermer dans cette image que je leur avais donné de moi à jamais, comme si mes larmes passées n’étaient plus approuvables, comme si mes insécurités et mes troubles n’avaient plus de crédibilité, comme si ma gaieté n’avait plus de recevabilité, comme si je n’avais plus le droit à la rechute ou comme si je ne pouvais plus m’épanouir devant et avec d’autres dès lors que j’avais ouvertement exprimé/exposé mes troubles mentaux devant eux. Ces comportements me décevaient me faisant presque regretter d’avoir confié mes peines ou de l’avoir fait devant certaines personnes. Ceci a au moins eu le mérite de discerner les personnes qui me soutenaient foncièrement dans mon entourage de celles qui étaient là pour m’accompagner uniquement dans mes meilleurs jours. Aujourd’hui, accorder ma confiance et/ou faire entrer de nouvelles personnes dans ma vie devient un réel challenge mais je ne démens pas pour autant l’importance des mots et de la confidence dans la libération de certains fardeaux.

Par peur d’officialiser mon état devant mon entourage, je ne me suis jamais dirigée vers des hôpitaux psychiatriques ou institutions du même type bien que l’idée de me soustraire aient été omniprésente dans des périodes de ma vie au point où je recherchais des cliniques en capacité de répondre à mon envie de façon indolore. Je vivais des années d’attente et de fatigue [à ne pas avoir la force de vivre ni celle de me supprimer] (cf. Laurent Gaudé, Eldorado). Aujourd’hui, je peux remercier ma peur de la douleur qui a eu raison de mes tendances suicidaires qui refont parfois surface. Et je me rappelle du moment où j’ai commencé à vraiment y songer. C’était ce jour-là, j’avais étudié les Faux-Monnayeurs et il y avait ce personnage qui avait tenté de se supprimer en justifiant cela par le fait qu’il avait atteint un niveau de bonheur tel qu’il pensait avoir atteint l’apogée de sa félicité et qu’il ne voulait pas donner une chance supplémentaire à la vie de le décevoir. Il avait accompli ce que son cœur attendait de lui. Je n’ai jamais été autant en proie à la vulnérabilité qu’à ce moment là. Et c’est quand j’ai compris que vivre c’était surtout exister que les doutes se sont installés. Je survivais, dans un combat intrinsèque, me démenant dans le périple d’un voyage cathartique autant purificateur qu’abondant de pêchés. Je baignais dans une ivresse de sentiments, de doutes, de lassitude et de tristesse avec cette impression de ne jamais pouvoir me réveiller, de ne jamais pouvoir sortir la tête de l’eau ou plutôt de la bouteille. Je vivais éméchée sans l’espoir d’avoir un lendemain avec une gueule de bois et ses blessures que je pourrais guérir en vomissant ma haine: vomir une âme fracassée pour renaître à la manière d’un phœnix. La hargne de souffler sur des braises encore chaudes afin de raviver la flamme faisant renaître l’espoir reposant sous les cendres.

On me reprochait mon incontinente envie de crier mon malheur. Personne n’aime les gens tristes et aussi triste que ce soit, personne ne se résolvait à essuyer le malheur de cette étrange fatalité. La vie devenait une succession de brimades.

Et si mon être était brisé, au moins ma prose état entière. Elle est sincère, pas faite pour plaire ni récitée pour satisfaire. Elle clamait haine et colère, d’un râle violent chantant en vers. Elle était dure, au goût amère mais avec la tendresse d’une mère. Une encre en quête identitaire imbibée de sentiments, suppôts grégaires.

A 21 ans, on me reconnait un surmenage qui pèse sur mon état mental et ma motivation à achever une quelconque tâche. Ainsi, mon désir de faire appel à une entité psychologique s’accroît afin d’identifier et de guérir les troubles qui animent mon état depuis tant d’années. Par la suite, le 15 janvier 2021, un dispositif nait permettant aux étudiants en situation de mal-être causé par la crise sanitaire de bénéficier de trois consultations gratuites de 45 minutes avec un psychologue, un psychothérapeute ou un psychiatre. Le gouvernement français propose alors un chèque d’accompagnement psychologique ne correspondant pas à un chèque matérialisé mais à trois consultations prépayées destinées aux étudiants. Il est alors spécifié que la seule condition pour y avoir accès est celle d’être étudiant. Répondant à ce critère unique, je me penche alors sur ce dispositif qui me permettrait de faire des économies tout en subvenant à mes besoins psychologiques. Mais qu’en est-il de l’accès à ces soins? On nous indique de nous diriger vers un « médecin généraliste au sein du service de santé universitaire, soit un médecin figurant sur une liste de médecins avec lesquels les services de santé ont passé des conventions, puis on choisit dans une liste de psychologues qui ont accepté ce défi ». A ce jour, aucune liste de médecins n’a été mise à notre disposition. La seule existence de ce dispositif a été communiqué mais dans les faits, comment accéder à cette dite liste ou à ces soins? C’est la question que je me suis posée en tant qu’étudiante hors secteur universitaire (grandes écoles, …), ne pouvant me diriger vers un service médical interne à mon école en raison de l’absence de l’existence d’un tel département dans mon établissement scolaire. J’ai alors d’abord demandé des renseignements à mon médecin traitant qui m’a assuré ne pas être au courant de l’existence de ces « chèques psy » et ne pas savoir comment m’aiguiller. Celui-ci n’a pu que renouveler mes prescriptions psychologiques sans pour autant répondre à mes interrogations. Il m’a alors redirigé vers les maisons médicales, qui en l’absence de réponse m’ont renvoyé vers mon médecin traitant. Voilà alors qu’un cycle sans fin s’est créé. Animée par une volonté de bénéficier de ce service qui me viendrait grandement en aide, j’ai alors poursuivi mes recherches auprès d’autres entités. Ne bénéficiant pas de BAPU (Bureau d’Aide Psychologique Universitaire) dans ma région et avec une Maison des Adolescents au planning saturé, j’étais contrainte d’avoir recours à des hotlines. Malgré leur existence notable, ces plateformes induisent un long temps d’attente qui m’amenait souvent à ne pas être prise en charge même après deux heures d’attente. Parfois, on me raccrochait même au nez. Qu’il s’agisse d’Apsytude ou des autres lignes téléphoniques que j’ai pu contacté, aucune n’a été en capacité de savoir vers qui je pouvais me diriger pour bénéficier de ce service. Certains n’en n’avaient même pas connaissance. Toutes ces entités sont excusables car la communication sur ce dispositif a été préalable à son installation et à la bienséance de sa mise en œuvre. Ainsi, je me retrouve pour l’instant dans l’incapacité d’en jouir en attendant que de réelles démarches et qu’une communication plus complète soient mises en place. Je reproche ainsi à ceux qui en sont à l’origine de profiter du contexte pour démontrer que des démarches viennent en aide aux étudiants sans pour autant les rendre efficientes.

Et parce que le statut d’étudiant (notamment ces temps-ci avec le mouvement #étudiantsfantômes qui met davantage en avant nos conditions de vie) ne permet pas tout le temps de subvenir à ses propres besoins [psychologiques], je recommande ainsi le site soutien-etudiant.info, qui recense les principales entités sensibles de venir en aide aux étudiants cherchant à satisfaire leurs besoins psychologiques malgré leurs faibles revenus.

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