PRESENTATION
Présentez-vous brièvement.
Mon nom est Lisa JEAN-LOUIS, je suis psychologue clinicienne actuellement en service d’addictologie du Centre Hospitalier Louis Daniel Beauperthuy (CHLDB) en Guadeloupe.
J’ai effectué mes études sur la ville d’Amiens à l’UPJV (Université de Picardie Jules Verne) où s’est déroulé tout mon cursus (de la licence au master 2 de psychopathologie, psychologie clinique et interculturelle).
Sur quels domaines intervenez-vous ?
Un an après mes études, j’ai obtenu un poste de psychologue dans le domaine de l’insertion socio-professionnelle à l’association REFLETS sur la ville de Nice. Cette association financée par le conseil départemental a pour mission de prendre en charge par le biais d’une équipe pluridisciplinaire (conseillers d’insertion professionnelle (CIP), Travailleurs Sociaux, Psychologues, Infirmière) un public bénéficiaire du RSA. L’objectif étant de les accompagner vers la réinsertion professionnelle, ou bien, d’être orienté vers une structure adaptée lorsqu’il existe un problème de frein à l’emploi. C’est à ce moment que peuvent intervenir infirmière et psychologues faisant partie du socle santé.
Aujourd’hui, j’exerce en service SSRA (Soins de Suite et Réadaptation en Addictologie) avec une équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, éducateurs sociaux, psychologues, diététicienne…), auprès de patients souffrant d’un trouble de dépendance à une ou des substances (alcool et/ou drogues) et qui sont hospitalisés pour une cure de sevrage pouvant durer de quelques semaines à 3 mois. L’objectif de la prise en charge étant la prévention des risques au niveau sanitaire, social, psychologique, cognitifs… dus à la consommation. Grâce aux différentes approches du personnel soignant nous visons la réduction voire l’abstinence du patient quant à son objet d’addiction.
Quelle importance a la santé mentale selon vous ?
La santé mentale est à englober dans la santé en général. Pendant longtemps il a été considéré que le somatique prédominait sur le psychisme. Or, nous nous sommes rendus comptes que les deux étaient liés. Les troubles physiques peuvent aussi trouver leur origine à partir d’une souffrance psychologique qui n’a pas été traitée. Nous ne pouvons plus nous permettre aujourd’hui de faire une dichotomie entre médical et psychologique car les deux sont indispensables. Faire l’économie de la santé mentale reviendrait à s’empêcher de comprendre la cause de certains mal-être, et par conséquent contribuer à mettre en danger des personnes. Nous pouvons d’ailleurs aujourd’hui constater l’accentuation des troubles psychiques (décompensations, stress, anxiété, dépression) causée par le contexte sanitaire qui ne doivent pas être laissés pour compte.
Pour parler d’un exemple précis, en addictologie, il est important de soigner le patient grâce au sevrage par traitement médicamenteux, mais il est tout aussi indispensable de l’accompagner psychologiquement dans ce processus de soin. En effet, le rôle du psychologue ici selon son approche sera d’aider le patient à rompre le lien avec son objet d’addiction. Ceci peut se faire à travers les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) qui permettent de mettre en place des stratégies de changement des habitudes, moyennant un travail sur les cognitions erronées. Une autre approche est celle de psychologie clinique qui a pour but de comprendre la fonction que pouvait avoir l’objet d’addiction pour le patient avant qu’il puisse s’en détacher, et en faire le deuil. Ces deux types de pratiques psychologiques sont loin d’être les seules, mais ces deux méthodes peuvent être complémentaires.
Concernant le contexte actuel généré par la crise sanitaire de la Covid 19, il est incontestable que les troubles psychiques sont parallèles à la pandémie et ne peuvent être laissés pour compte. Nous pouvons parler de manière non exhaustive de décompensation psychique, de stress, d’anxiété, de burn-out, de dépression et risque suicidaire causés par le contexte sanitaire de ces derniers temps qui ne doivent pas être laissés pour compte.
Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur ce domaine d’activité ?
En toute honnêteté, il ne m’a pas été tout de suite évident de comprendre pourquoi j’avais choisi ce métier, malgré mon attrait pour le soin de manière générale. J’ai toujours aimé le contact avec l’être humain, comprendre son fonctionnement, et l’écouter. Mes amis entre le collège et le lycée se confiaient régulièrement à moi, ainsi que des membres de ma famille. Ces expériences ont sûrement contribué à développer mon désir de devenir psychologue.
Au cours de mes stages de professionnalisation, une révélation m’a confirmé l’envie d’exercer cette profession. J’y ai rencontré des personnes dans la singularité de leur demande d’aide, dans leur « différence » parfois. La rencontre avec le patient, c’est un moment où l’on fait émerger sa particularité, qui le distingue du reste de la société. C’est cet aspect principal de la psychologie clinique qui me fascine, car je me sens personnellement concernée par la différence.
SANTE MENTALE & COMMUNAUTE NOIRE
Selon vous, quelle place a la santé mentale dans la communauté noire ?
La santé mentale dans la communauté noire semble encore être un sujet flou, voire tabou dans certains cas. Par exemple en Afrique Noire ainsi qu’aux Antilles les troubles mentaux sont encore considérés comme des problèmes d’ordre magico-religieux. Autre exemple, la dépression n’est pas une pathologie forcément reconnue dans la culture africaine, qui est pourtant largement reconnue par la culture occidentale. Tout dépend des mœurs et des représentations de chacun. En Afrique où la solidarité et la fédération font partie intégrante de la culture on se tourne vers la famille pour parler de ses difficultés, on peut aussi aller voir un guérisseur traditionnel. Tandis qu’en Europe, il sera plus commun de se rendre chez le psychiatre ou le psychologue.
Selon vous quelle place a le développement personnel dans la communauté noire ?
Le développement personnel quant à lui est plus accessible parce qu’on peut le pratiquer de manière autonome grâce à une multitude d’outils qui font leur apparition (livres en librairie ou en grande surface, articles sur internet, vidéos, coach de vie…). Les individus de manière générale ont tendance à privilégier cette approche dont la communauté noire. Tel que je l’observe aux Antilles, la population a d’ailleurs plus tendance à se tourner vers la spiritualité (lecture sacrée, pratique religieuse assidue…) qui peut s’inscrire dans un processus de développement personnel.
Selon vous, quelle importance prend la communauté noire et afro descendante dans les professions de la psychologie ?
Suite à mes observations et mon expérience personnelle, parmi les professionnels issus du domaine de la psychologie nous sommes moins nombreux au sein de la communauté noire que les autres. Ceci est lié à ce que nous disions précédemment sur le fait que ces métiers (psychologues, psychanalystes, pédopsychiatres, psychiatres, sexologue…) outre le fait d’être historiquement récents, n’ont pas été investis autant chez les Noirs que chez les Blancs à cause des différences de cultures, pour ne parler que d’eux. Pourtant, nous pourrions dire que les pratiques traditionnelles tel que le chamanisme sont un ancêtre de la psychologie, sont encore très présentes dans les sociétés africaines.
Lors de mon cursus à l’UPJV, en psychologie nous étions une minorité de Noirs à partir de la licence, puis au sein de ma promotion de master j’étais la seule, chose qui m’a d’ailleurs interpellée.
En Guadeloupe les études de psychologies n’étant pas dispensées, les étudiants originaires du département partent vers la France pour poursuivre leurs études avec un retour incertain vers le DOM d’origine. Par conséquent le nombre de psychologues en Guadeloupe est relativement faible par rapport aux autres départements de la France métropolitaine.
Pensez-vous que le domaine de la psychologie va davantage se diversifier en Occident à l’avenir ?
La santé mentale semble davantage susciter l’intérêt grâce à la médiatisation. En effet, des réflexions émergent de plus en plus à partir de partages sur internet d’expériences en lien avec la psychologie, ce qui contribue à la démocratiser. On remarque que les professionnels eux-mêmes détiennent des profils dédiés à la discipline sur les réseaux-sociaux.
Par conséquent, Grâce aux progrès technologiques, et à une communication plus importante, il y a de fortes chances pour que le domaine de la psychologie se diversifie davantage en Occident et dans le monde. Les jeunes traverses de plus en plus de crises existentielles, et parmi eux les nouvelles générations d’afro descendants qui se préoccupent davantage aujourd’hui de leurs origines. Ils peuvent éprouver le besoin d’être soutenus dans la quête personnelle d’acceptation de soi et de revendication identitaire que ce soit ou non par un pair. Ils pourront eux-mêmes être amenés à promouvoir la santé psychologique de leurs semblables en choisissant des métiers en lien avec la santé mentale.
Il est vrai que consulter un professionnel afro-descendant quand le patient l’est lui-même, peut permettre de réduire le décalage identitaire qu’il peut ressentir. La similarité ethnique à la différence du trop grand choc des cultures’ peut contribuer à une bonne alliance thérapeutique, à une identification à son thérapeute et ainsi participer au processus de guérison.
Que pensez-vous du « racisme ordinaire » ?
Tant que le racisme existera, il ne faudra pas cesser de parler de ses impacts et sensibiliser dès le plus jeune âge. Beaucoup de personnes pensent que le racisme est une histoire révolue et que des membres de la communauté noire se victimisent. Le racisme est bien souvent subtil, ou latent. Lorsqu’un acteur ou une actrice noir(e) est le personnage principal d’un film à succès, qui ne traite pas de la cause noire ou des discriminations, et que l’on s’en étonne, qu’on ressent le besoin de le préciser, et qu’on émette un avis positif ou négatif, alors la question du racisme sera loin d’être dernière nous. C’est une forme de racisme ordinaire.
Le racisme ordinaire est partout, même dans de simples conversations. Par exemple, lorsqu’un acteur ou une actrice noir(e) est le personnage principal d’un film à succès et que l’on s’en étonne, qu’on ressent le besoin de le préciser, et qu’on émette un avis positif ou négatif (discrimination positive ou négative), alors la question du racisme est encore loin d’être dernière nous. On peut aussi parler ici d’une forme de racisme ordinaire.
Le fait d’être Noir(e) suscite régulièrement la question des origines même si la première intention du demandeur n’est pas mauvaise. Une personne noire peut par exemple naître à Paris et avoir des parents martiniquais, sans pour autant qu’elle n’y soit allée et ne connaisse la Martinique, elle ne se sentira donc pas pour autant martiniquaise (le sentiment d’appartenance est un sentiment subjectif). De fait, la question n’aura pas forcément lieu d’être. Dans la représentation collective occidentale et à cause du phénomène de conditionnement de l’homme par l’homme, la couleur de peau différente de la sienne est devenue synonyme d’étranger, or tous les noirs ne sont pas toujours originaires d’un ailleurs. C’est aussi ce qui participe à créer des décalages identitaires.
Pour accentuer la banalisation du racisme envers les personnes noires, des personnes blanches disent qu’on parle davantage de racisme contre les Noirs que de racisme anti-Blanc. On entre dans une compétition absurde de « qui est davantage victime de racisme ».
Personnellement, je pense que même si aucun type de racisme n’est justifié, il faut surtout sortir du non-dit et s’intéresser à son fondement et à son histoire, afin de remettre de l’ordre dans les esprits et se détacher de ce fléau. Je recommande à ce juste titre la lecture du livre « Peau noire et masque blanc » de Frantz Fanon.
Quels conseils donneriez-vous à un étudiant voulant consulter malgré ses faibles revenus ?
Un étudiant qui souhaite consulter un professionnel de santé mentale peut d’abord se diriger vers le SUMPPS (Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé) de son établissement s’il est à l’Université. Les CMP (Centre Médico Psychologique) offrent des soins gratuits aux personnes (enfant-ado-adulte) en souffrance psychique. Elles peuvent y trouver infirmières, psychiatres et psychologues. Ensuite, se rapprocher des associations (telles que la mission locale) de sa ville peut également être une alternative. Il est à noter que même si les séances de psychothérapie avec un psychologue ne font toujours pas l’objet d’un remboursement auprès de la sécurité sociale, un psychiatre lui est un médecin et est habilité à prendre la carte vitale, les consultations sont donc remboursées, bien que les approches soient différentes, il est toujours mieux de ne pas rester sans soignant en cas de besoin.
Les lignes d’écoute gratuites sont aussi un moyen de pouvoir discuter en cas d’urgence ou de questionnement ponctuel. Plusieurs d’entre-elles sont référencées sur le site suivant : Psycom.
Vers qui un individu afrodescendant pourrait se diriger pour satisfaire son besoin de représentation dans ses aides psychologiques ?
Tout d’abord, je pense que pour s’approprier son histoire en tant qu’afrodescendant et se reconnaître en tant que tel, on peut consacrer du temps à connaître la vie de ses ancêtres et de l’histoire de l’esclavage de laquelle les stigmates sont encore présents. C’est une blessure traumatique, de laquelle est né tout un peuple, un aspect de la psychologie, et c’est aussi le point de départ de nombreux maux.
Au stade du miroir introduit par Henri Wallon, un petit être humain, pour construire son identité a besoin d’un reflet. Le premier reflet qu’il a de lui-même en général est celui qu’il obtient à travers le regard maternel. Il s’identifie d’abord à elle avant de pouvoir s’identifier à d’autres personnes pour construire sa personnalité. En tant qu’adolescent ou adulte, il est tout à fait possible de s’identifier et s’approprier à l’histoire des personnages noirs influents pour avoir des repères et trouver sa place en tant que personne Noire. Nous pouvons parler de Rosa Parks, Nelson Mandela, Martin Luther King, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Le couple Obama… pour ne citer que quelques personnes noires mythiques. Des célébrités mondialement connues de la communauté noire pourraient aussi être une source d’inspiration.
Ensuite, concernant l’aspect du soin psychique, en cas de mal-être, de dépression en lien avec un sentiment de décalage identitaire, ou tout autre type de troubles psychiques, un afro-descendant peut s’orienter vers un psychologue spécialisé dans la transculturalité qui saura les guider. C’est une discipline qui concerne le contact des cultures et la construction identitaire. Cette approche de la psychologie est intéressante dans le sens où elle prend en compte les croyances de chaque individu. Il est aussi possible de consulter tout type de thérapeute s’intéressant aux problématiques identitaires qui saura correspondre à la demande formulée par le patient. Il le choisira ou non en fonction des similarités ethniques.
Enfin, petit clin d’œil au femmes, qui ont peut-être déjà entendu parler du phénomène « Nappy » (Natural and Happy). Un très beau concept pour se réconcilier avec ses cheveux au naturel, pour se réconcilier avec soi-même et ses atouts en tant que femme noire. Les cheveux à eux seuls peuvent être une vraie thérapie !
Quelles recommandations préconisez-vous pour faire face à l’anxiété et aux complexes liés aux discriminations raciales ?
Si vous avez connu ou connaissez des comportements discriminatoires à votre égard, n’hésitez pas à le dénoncer, parlez-en à un ami, un collègue proche de la famille ou consultez un professionnel, quelqu’un qui pourrait vous comprendre. Ne restez pas seuls avec un mal-être, car l’exclusion et l’isolement peut avoir un effet néfaste sur votre santé mentale.
Essayez de comprendre ce que cela suscite en vous et pourquoi. Quels bénéfices obtiennent les personnes qui ont recours à ce type de comportement? Lorsque les autres vous pointent du doigt, vous manquent de respect, qu’ils vous harcèlent ou vous excluent, c’est qu’indirectement ils parlent d’eux, de leur souffrance ou leurs manques éventuels. C’est aussi souvent parce que l’inconnu leur fait peur et qu’ils n’y ont jamais été vraiment confronté. Ils se laissent aller à leurs « fantasmes ». N’y prêtez pas attention, pour ne pas leur donner ce qu’ils recherchent. C’est-à-dire, se nourrir de vos émotions négatives comme la peur, la colère, la tristesse. Essayez dans la mesure du possible de ne pas en faire une affaire personnelle, même si c’est plus facile à dire qu’à faire, n’oubliez pas que vous pouvez vous faire aider et que vous n’être jamais seul(e).
Le mot de la fin ?
Votre différence est votre force ! Croyez-en vous et en votre pouvoir de résilience.
Merci de m’avoir permis de participer à cette enquête.
Black is the new Black !
AND DON’T FORGET TO EMBRACE YOUR PERFECT IMPERFECTIONS!
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