Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé écrire. Dès 5 ans, je dévorais des piles de livres, développant peu à peu mon imaginaire. Et aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé le lyrisme des fatalités. Pendant que d’autres enfants jubilaient devant la féérique Belle au Bois Dormant, mon intrigue était concentrée sur le lugubre conte de Barbe Bleue.
Puis la plume a prit vie et je me détachait du fardeau que devenait pour moi la lecture. Je ne prenais plus de plaisir à étudier le lyrisme d’autres sans tenter d’exprimer le mien. Au fond, je ne lisais jamais les livres pour leur intrigue. je lisais d’ailleurs très peu (si ce n’est la presse). Pourtant, dans une certaine ambivalence, j’en achetais, j’en empruntais mais ceux-ci campaient sur mes étagères, prenant la poussière. Ils avaient une certaine autorité, un certain charisme que je choyais. Je cultivais juste un injustifiable besoin de tenir de telles œuvres d’arts, un tel agrégats de sentiments et de mots nouveaux. Jamais les pages ne jaunissaient parce que j’en prenais très soin, c’était des objets avec une valeur particulière mais l’histoire qu’ils renfermaient m’importait peu. Disons que l’objet en lui-même représentait déjà beaucoup, cette force de rassembler autant de mots pour en faire une force de caractère. Je lisais des livres pour la beauté des mots, la manière dont ils étaient entremêlés, la manière dont tout était entrechevé, la manière dont de nouveaux mots jaïssaient au travers de lignes interminables. C’était une histoire de syntaxe pour moi, une histoire de métaphores, une histoire de prose et de lyrisme. Pour moi, tout était poésie, chaque mot . Et pour moi, aucune histoire n’avait de sens, dans le sens où vous pouvez créer une toute autre histoire avec les mêmes mots. A mes yeux, la puissance d’un livre proviendrait du mot qui donne vie à l’histoire , que sans ces mots il n’y aurait plus d’histoire. Alors oui, celle-ci peut exister sans les mots, mais elle ne vit plus sans eux. Et on ne racontera jamais la même histoire de la même manière, il y aura toujours ces petites fabulations qui nous sont propres, ces métaphores vivantes qui font trembler les lignes et vibrer les discours. On aurait alors tord de donner la puissance à l’histoire avant de donner la puissance aux mots, ce serait une erreur fatale. Je suis animée par tous ses agrégats de l’imaginaire sublimés où salis par les mots qui auront été choisis pour les raconter. Les mots seront alors les témoins de la beauté ou de la médiocrité du monde. Et même souillé par le propre des mots choisis pour conter une histoire, en dépit de sa médiocrité et aussi médiocre qu’ roman puisse être, tant que pour l’auteur elle apparaît comme une médiocrité satisfaite, alors les mots auront quelque chose de sublime.
Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours tenu des carnets, gratté du papier, inondé mes lignes et glorifié mes brouillons. Dans une recherche de perfectionnisme constant sans doute inatteignable, j’en suis venu à constater que le livre que j’avais le plus feuilleté était un dictionnaire. J’aimais la beauté des nouveaux mots, des mots rares et oubliés, de ces mots incompris et délaissés, de ces mots surprenants ou abimés par des ans de bafouillages et d’argots.
On ne peu qu’admettre que la vie n’est pas toute rose, et j’avais cette incontinente envie de représenter ces sentiments qui sont souvent refoulés, ces émotions sur lesquelles on a parfois du mal à mettre des mots. Et loin de moi l’envie de romantiser des émotions lugubres et sinistres mais chaque histoire n’a pas forcément une fin heureuse et je ne voyais pas pourquoi les dénouements tristes, cyniques et fatalistes n’auraient pas le droit à leur part de lyrisme. Et je ne délecterai sans doute jamais assez de ces récits noirs, laissant ces « Happy Ending » aux optimistes, utopistes et idéalistes. Je les aime car ils expriment ce qu’il peut y avoir de plus profond en moi. Néanmoins, je m’autorise à ressentir de l’amour, à éprouver de la joie mais je n’ai pas la même aisance à exprimer ces émotions. Enfin, je pense que rendre accessible ce types d’émotions permet de leur donner une certaine représentation et d’en parler plus facilement.
“ Mais les mots sont les larmes de ceux qui auraient tant voulu mais n’ont pas su pleurer ”
Lucian Blaga